mardi 28 mai 2019

Les Nuits


Les nuits

Puisque tu vivais sur un autre continent, le téléphone mobile est vite devenu un prolongement de nos élans. Tu as pris une place considérable dans ma vie, chaque instant je pensais à toi. J’avais peur de ce que je ressentais, mais j’étais fasciné.
Ton visage a commencé à se dessiner au travers de nos messages, tu étais le désir, la joie, le mouvement. Tu étais libre. Moi, J’étais la morale, la sagesse, la retenue. Je voyais cette adolescente quadragénaire qui prenait un malin plaisir à me provoquer. Je n’ai pas compris cela. Je pensais ton désir malsain, parce qu’il avait percuté ma vie trop vite et dans un moment trop inapproprié. C’était con de ma part.
Je t’en voulais de me désirer. Je me disais que tu méritais mieux que moi. Je me disais que tu allais ouvrir les yeux un jour et que j’allais en baver à ce moment-là. Tu me répondais avec effrontément qu’on ne choisit pas quand et de qui on tombe amoureux. Tu avais raison mais on s’est beaucoup disputés sur le sujet.
Cela allait vite. On se voyait tous les deux mois à l’occasion de tes voyages en France ou des miens aux USA. On se voyait dans ces chambres d’hotel, cela paraissait glauque mais on s’embrassait, on s’étreignait, et c’était magnifique. On irradiait de bonheur tous les deux, ce bonheur simple de s’être trouvés. On savourait notre chance.
Je me rappelle ces gens que l’on a croisés, qui semblaient frappés de ce feu qui nous habitait. Je crois qu’ils nous enviaient. Il y a eu ces vieilles dames qui déjeunaient dans un café en France, qui nous ont dit que nous étions un beau couple, et qu’il fallait nous chérir de toutes nos forces. Il y a eu cette femme noire américaine dans un restaurant, surprise par notre tendresse, qui nous a demandé si on venait de se rencontrer. Tu as menti en disant que nous avions vingt années de mariage derrière nous. J’ai souri en te regardant et j’ai adoré cet aplomb. 
Tu me parlais comme on devait me parler. Tu me remettais à ma place lorsque je montais sur ma chaire professorale pour tenter te donner des leçons sur la vie. Moi seul savait ce qui était bien ou pas. C’était nul.
Nos nuits étaient lumineuses. Je n’en avais pas passé des nuits comme cela avant toi, des nuits ou le désir te réveille. C’était incroyable j’avais 20 ans, et j’étais très amoureux.

Dans la voiture


Dans la voiture

J’ai l’inquiétude qui bat dans ma poitrine alors que je la conduis vers la clinique. Elle est sur le siège passager, elle a les yeux fermés, et la tête enfoncée dans l’appuie tête. Sa peau est pâle, presque transparente, son visage est enflé. D’ailleurs tout son corps est boursouflé. Je lui parle et les larmes me viennent. Comme à chaque fois que je l’ai eue en face de moi pendant ces 6 derniers mois, je lui dis qu’il faut qu’elle consulte un docteur, qu’elle se soigne, je lui dis que je l’aime. Elle ne dit rien, elle somnole, je la sens à bout de forces.
A Noel, il y a 4 mois, elle etait tellement fatiguee qu’elle s’endormait a table en plein milieu du repas. J’avait fait intervenir le SAMU mais elle avait trouve suffisamment d’énergie pour hurler et lui faire promettre de ne pas la faire hospitaliser. Les urgentistes avaient battu en retraite.
Une vingtaine d’années auparavant, j’emmenais mon père à ses séances de chimiothérapie au Val de Grace.  Il était recroquevillé comme elle au fond du siège, et à chaque virage il me disait d’aller plus doucement. La tumeur le fatiguait. Cette saloperie réduisait à une vitesse hallucinante les contours de cet homme. Il mettait alors  une perruque grise et son costume à carreaux pour maintenir les apparences. J’étais jeune et je ne comprenais pas, je refusais de le voir malade, je refusais l’hypothèse de sa mort. Il était dressé contre cette maladie, un monolithe de volonté arcbouté contre l’avancée irrésistible de cette saloperie. Même lorsque l’opération chirurgicale lui avait foiré le contrôle de la moitié droite de son corps, il avait continué à se battre comme un lion, pédalant comme un forcené sur un vélo d’appartement dans la cave, avec l’espoir fou de retrouver la commande de cette jambe droite.
On arrive aux urgences de l’hôpital. Il est tard ce dimanche soir. Je soutiens ma mère pour marcher dans cette cour des miracles qui rassemble un couple d’ivrognes, et un sportif avec la jambe de survêtement ensanglantée. L’équipe soignante voit ma mère, et la saisit immédiatement. Elle est allongée sur un lit brancard. Je suis écarté, les portes automatiques se referment devant moi. On m’appellera.
Je retourne à la salle d’attente, la machine à café me sert un potage. Ce sera mon repas je n’ai pas trop la force d’avaler quoique ce soit. Je m’assois, je me lève, je fais le couloir. J’envoie un SMS à Cécile et à mon frère.
Vers 23h on m’appelle dans la salle de soins. Ma mère est perdue dans ce hall de gare avec des lits remplis de gens dans tous les sens. Cela me fait penser aux images des hôpitaux de guerre dressés sur les lignes de front. Je ne pensais pas avoir à visiter ce genre de lieu. On me dit que je dois lui parler et qu’on souhaite me parler ensuite. Je lui parle donc, en embrassant son front. Elle est fatiguée et ses mots trainent sans doute sous l’effet des médicaments qui coulent dans son bras. Elle me tend sa bague avec son diamant, celle que j’avais vu mon père lui offrir dans la salle à manger à leurs 40 ans. Elle repart dans les vapes. Le moniteur cardiaque indique 110 pulsations.
C’est affreux ce moment. Je suis impuissant. Je m’en veux instantanément de ne pas l’avoir emmené plus tôt.
Je m’assois devant le docteur qui a moins de trente ans. Un grand black sympa qui m’explique que ma mère est en situation d’œdème et qu’elle va être tout d’abord hospitalisée en pneumologie afin d’évacuer le liquide qui remplit son corps et plus particulièrement le contour de ses poumons. Il me dit aussi qu’elle subira une batterie de tests parce qu’ils ne sont pas surs de savoir ce qu’elle a. Cela peut être grave me dit-il.
Je sors de l’hôpital. Je suis surpris par la nuit. J’ai la tête vide et mais ma seule envie est de t’envoyer un message. Tu me réponds presqu’instantanément et tes mots me laissent moins seul. Tu me dis de rester auprès de ma mère et d’oublier le boulot.
Bien sûr que j’attendais ces mots-là, bien sûr que tu ne pouvais pas écrire autre chose, mais même attendus, même sans surprise, ces mots sont bons à lire, simplement bons à lire.

Belharra



Belharra


Elle s’appelle Belharra. C’est une vague solitaire qui arrive de l’Atlantique certains hivers, et qui déboule sur la côte Basque. Un mascaret marin de 10 mètres de hauteur qui se lève aussi mystérieusement qu’il disparaît. 

Les jours de grand vent, un petit groupe de fous furieux se retrouve sur la route de la corniche coincée entre Hendaye et Socoa. Ils l’attendent le cul sur le capot des voitures.  Le corps coincé dans ces combinaisons d’hiver qui t’étranglent le cou comme une jugulaire, ils écoutent ceux qui y sont déjà allés. Ceux-là expliquent aux autres combien c’est flippant.

Tu montes sur la poitrine du monstre, et au milieu tu pivotes avant que sa gueule pleine d’écume ne t’avale.

Ensuite c’est un surf plein d’énergie, une interruption de ta vie, ou les repères horizontaux et verticaux volent en éclats, tu descends pleine balle vers la plage. C’est une bataille pour sauver ta peau qui te laisse une émotion inédite. 

J’aurais surfé Belharra avec toi… une vague unique.

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