Les nuits
Puisque tu vivais sur un autre continent, le téléphone mobile est vite
devenu un prolongement de nos élans. Tu as pris une place considérable dans ma
vie, chaque instant je pensais à toi. J’avais peur de ce que je ressentais,
mais j’étais fasciné.
Ton visage a commencé à se dessiner au travers de nos messages, tu étais le
désir, la joie, le mouvement. Tu étais libre. Moi, J’étais la morale, la
sagesse, la retenue. Je voyais cette adolescente quadragénaire qui prenait un
malin plaisir à me provoquer. Je n’ai pas compris cela. Je pensais ton désir
malsain, parce qu’il avait percuté ma vie trop vite et dans un moment trop inapproprié.
C’était con de ma part.
Je t’en voulais de me désirer. Je me disais que tu méritais mieux que moi.
Je me disais que tu allais ouvrir les yeux un jour et que j’allais en baver à
ce moment-là. Tu me répondais avec effrontément qu’on ne choisit pas quand et
de qui on tombe amoureux. Tu avais raison mais on s’est beaucoup disputés sur
le sujet.
Cela allait vite. On se voyait tous les deux mois à l’occasion de tes
voyages en France ou des miens aux USA. On se voyait dans ces chambres d’hotel,
cela paraissait glauque mais on s’embrassait, on s’étreignait, et c’était
magnifique. On irradiait de bonheur tous les deux, ce bonheur simple de s’être
trouvés. On savourait notre chance.
Je me rappelle ces gens que l’on a croisés, qui semblaient frappés de ce
feu qui nous habitait. Je crois qu’ils nous enviaient. Il y a eu ces vieilles
dames qui déjeunaient dans un café en France, qui nous ont dit que nous étions
un beau couple, et qu’il fallait nous chérir de toutes nos forces. Il y a eu
cette femme noire américaine dans un restaurant, surprise par notre tendresse,
qui nous a demandé si on venait de se rencontrer. Tu as menti en disant que
nous avions vingt années de mariage derrière nous. J’ai souri en te regardant
et j’ai adoré cet aplomb.
Tu me parlais comme on devait me parler. Tu me remettais à ma place lorsque
je montais sur ma chaire professorale pour tenter te donner des leçons sur la
vie. Moi seul savait ce qui était bien ou pas. C’était nul.
Nos nuits étaient lumineuses. Je n’en avais pas passé des nuits comme cela
avant toi, des nuits ou le désir te réveille. C’était incroyable j’avais 20
ans, et j’étais très amoureux.