Dans la voiture
J’ai l’inquiétude qui bat
dans ma poitrine alors que je la conduis vers la clinique. Elle est sur le
siège passager, elle a les yeux fermés, et la tête enfoncée dans l’appuie tête.
Sa peau est pâle, presque transparente, son visage est enflé. D’ailleurs tout
son corps est boursouflé. Je lui parle et les larmes me viennent. Comme à
chaque fois que je l’ai eue en face de moi pendant ces 6 derniers mois, je lui
dis qu’il faut qu’elle consulte un docteur, qu’elle se soigne, je lui dis que
je l’aime. Elle ne dit rien, elle somnole, je la sens à bout de forces.
A Noel, il y a 4 mois,
elle etait tellement fatiguee qu’elle s’endormait a table en plein milieu du
repas. J’avait fait intervenir le SAMU mais elle avait trouve suffisamment
d’énergie pour hurler et lui faire promettre de ne pas la faire hospitaliser. Les
urgentistes avaient battu en retraite.
Une vingtaine d’années
auparavant, j’emmenais mon père à ses séances de chimiothérapie au Val de Grace.
Il était recroquevillé comme elle au
fond du siège, et à chaque virage il me disait d’aller plus doucement. La
tumeur le fatiguait. Cette saloperie réduisait à une vitesse hallucinante les
contours de cet homme. Il mettait alors une perruque grise et son costume à carreaux
pour maintenir les apparences. J’étais jeune et je ne comprenais pas, je
refusais de le voir malade, je refusais l’hypothèse de sa mort. Il était dressé
contre cette maladie, un monolithe de volonté arcbouté contre l’avancée
irrésistible de cette saloperie. Même lorsque l’opération chirurgicale lui
avait foiré le contrôle de la moitié droite de son corps, il avait continué à
se battre comme un lion, pédalant comme un forcené sur un vélo d’appartement dans
la cave, avec l’espoir fou de retrouver la commande de cette jambe droite.
On arrive aux urgences de
l’hôpital. Il est tard ce dimanche soir. Je soutiens ma mère pour marcher dans cette
cour des miracles qui rassemble un couple d’ivrognes, et un sportif avec la
jambe de survêtement ensanglantée. L’équipe soignante voit ma mère, et la
saisit immédiatement. Elle est allongée sur un lit brancard. Je suis écarté, les
portes automatiques se referment devant moi. On m’appellera.
Je retourne à la salle
d’attente, la machine à café me sert un potage. Ce sera mon repas je n’ai pas
trop la force d’avaler quoique ce soit. Je m’assois, je me lève, je fais le
couloir. J’envoie un SMS à Cécile et à mon frère.
Vers 23h on m’appelle
dans la salle de soins. Ma mère est perdue dans ce hall de gare avec des lits
remplis de gens dans tous les sens. Cela me fait penser aux images des hôpitaux
de guerre dressés sur les lignes de front. Je ne pensais pas avoir à visiter ce
genre de lieu. On me dit que je dois lui parler et qu’on souhaite me parler
ensuite. Je lui parle donc, en embrassant son front. Elle est fatiguée et ses
mots trainent sans doute sous l’effet des médicaments qui coulent dans son
bras. Elle me tend sa bague avec son diamant, celle que j’avais vu mon père lui
offrir dans la salle à manger à leurs 40 ans. Elle repart dans les vapes. Le
moniteur cardiaque indique 110 pulsations.
C’est affreux ce moment.
Je suis impuissant. Je m’en veux instantanément de ne pas l’avoir emmené plus
tôt.
Je m’assois devant le
docteur qui a moins de trente ans. Un grand black sympa qui m’explique que ma
mère est en situation d’œdème et qu’elle va être tout d’abord hospitalisée en
pneumologie afin d’évacuer le liquide qui remplit son corps et plus
particulièrement le contour de ses poumons. Il me dit aussi qu’elle subira une
batterie de tests parce qu’ils ne sont pas surs de savoir ce qu’elle a. Cela peut
être grave me dit-il.
Je sors de l’hôpital. Je
suis surpris par la nuit. J’ai la tête vide et mais ma seule envie est de
t’envoyer un message. Tu me réponds presqu’instantanément et tes mots me
laissent moins seul. Tu me dis de rester auprès de ma mère et d’oublier le
boulot.
Bien sûr que j’attendais
ces mots-là, bien sûr que tu ne pouvais pas écrire autre chose, mais même
attendus, même sans surprise, ces mots sont bons à lire, simplement bons à
lire.
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