mercredi 12 septembre 2018

Un enterrement

Un enterrement



Les balais d’essuie-glace de la Polo couinent. C'est une petite pluie sale et obstinée d’un mois de Février.  Au travers du pare-brise, j’aperçois les contours des maisons de la rue centrale de Montigny.  Le village n’a pas changé, il est identique à mes souvenirs.

Je n'avais plus mis les pieds dans ce bled depuis une quarantaine d'années. La dernière fois c'était pour la communion d’Arnaud. On avait réservé la vieille auberge sur le bord de la rivière pour le déjeuner d'après la cérémonie. Un vrai repas de fête avec la famille entassée autour d'une table rectangulaire plantée dans le jardin du restaurant, sous une tonnelle. 

Après le repas, les enfants étaient partis à l'aventure vers le déversoir au bord de la rivière. Les hommes avec les manches retroussées, une gitane plantée sur leurs lèvres parlaient politique. J'étais allé chercher l'électrophone portatif Radiola dans notre voiture, et j'avais pris André par la main. Je m'étais étourdie dans ses grands bras, sur les râles graves de Gene Vincent et de Ray Charles. Cela avait été une aprés midi de fou rires avec la bouche pleine de l’effervescence du champagne, et du croquant de la nougatine de la pièce montée.   

...Mais cet après midi de printemps est bien loin, pensais je alors que j'arrête la voiture devant le cimetière. 

Je pousse la porte de fer forgé rouillé qui grince, et je me planque derrière le dernier rang du groupe serré devant le caveau familial des Daguet. J'ai fait l’impasse sur la cérémonie à l’église. Je n’aime pas les églises, et puis je n’avais pas envie d’écouter l’interminable homélie, ni d’assister aux sanglots de la famille. Cela m’aurait rappelé les choses que j’avais vécues et tenté d’oublier depuis une vingtaine d'années.

A l’opposé du groupe que j'utilise en paravent, il y a un cercueil en chêne blond avec son couvercle en losange et la famille au garde à vous en rang serré. Au milieu des manchots dressés sur leur banquise, Je devine, sous les traits un peu usés d’un  sexagénaire, l’adolescent que j’avais connu : Michel. Le fils de bonne famille, avec la raie sur le côté et les bermudas en velours, ce gendre idéal que ma mère aurait voulu que j’épouse, avant qu’un cancer du sein ne l’empêche de réaliser son dessein.

Les employés des pompes funèbres font le boulot. Le cercueil descend dans le trou béant. Celle qui fut la meilleure amie de mes parents, et ma tutrice à leur décès, Jeanne Marie Daguet, rejoint l’obscurité. La vieille femme s'était éteinte paisiblement pendant son sommeil à 101 ans, à croire que la méchanceté et l'hypocrisie lui avait profité.

La pluie, n’hésite plus maintenant : elle cingle.

Les VRP funéraires et les manchots s’agitent en saccades signalant que la cérémonie est terminée. On nous invite à saluer la défunte, et à réconforter la famille. Une file sombre se forme avec les mines penchées. Lorsqu'arrive mon tour je me hâte de serrer la main de Michel, et de sa petite sœur Anne. Je ne sais pas s’il me reconnait, mais je n’ai pas vraiment envie qu’il me reconnaisse.

J’évacue les lieux, en circulant entre les dalles de granit oubliées sous une mousse verdâtre. 

J'entends un essoufflement dans mon dos.

« Chantal ! »

Je me retourne. Michel reprend son souffle il jette quelques paroles balafrées par ses inspirations.

 «… Merci d’être venue…Merci vraiment… et je suis désolé je dois suivre le mouvement de la famille, par contre, cela me ferait plaisir de te revoir …si tu es d’accord. Cela fait si longtemps. Est-ce que… Est-ce que tu peux me passer ton numéro de téléphone ?…»

Surprise.. je bafouille en rougissant vaguement, un truc pas très audible, et je farfouille dans mon sac a main. Dans la panique, je repêche un ticket de supermarché oublié dans le fond, et je griffonne au dos le numéro de la maison. Je ne me souviens jamais de mon numéro de portable. Je lui tends le morceau de papier ridicule, on se dit au-revoir au milieu des tombes...

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