mercredi 19 septembre 2018

Le café des Cadrans



J’ai retrouvé Michel dans le jardin du château ce mercredi après-midi. C’était curieux ce choix : le jour des enfants et des mamans. On s’était donné rendez-vous à la statue de Diane chasseresse, du côté du jardin à la Française, là où l’on s’était rencontrés pour la première  fois. J’avais 7 ans et lui 8.  Quelque mois auparavant, ma mère était venue me chercher dans le village de l'Allier ou habitaient mes grands-parents. Elle m’y avait  quasiment oubliée, pendant 6 longues années, pour que je profite de la prodigalité de nos campagnes dans la France de l’après-guerre sujette aux privations, mais surtout pour ne pas être un fardeau pour ma mère.

Le printemps allait bientôt revêtir de vert tendre les nouveaux rameaux des buis. Sous le soleil permissif de Mai, les arbustes échevelés pousseraient alors en dehors du parallélépipède strict des haies, jusqu’à ce que les taille-haies des jardiniers viennent faire entrer tout dans l’ordre.

Le bruit des gravillons sous nos chaussures nous rappelait les courses des parties de cache-cache.

Michel parlait beaucoup, et finalement je lui en étais reconnaissante, cela m’était impossible de meubler autant de silences. J’écoutais un mot sur deux, mais cela me sauvait de l'inconfort et de la gêne de me trouver seule avec un homme. Cela faisait des années que cela ne m'était pas arrivée. 

La fin d’après-midi s’annonçait, les lycéens et les étudiants arrivaient maintenant en paires dans le jardin et s’asseyaient sur les bancs pour se bécoter. J’étais fatiguée et j’avais envie que l’on se pose quelque part. On est donc sortis du parc pour aller  pousser la porte du café des Cadrans. Devant nos tasses de chocolat chaud on s’est racontés. Il m’a décrit ses études, sa carrière brillante de Neurologue, ses quatre enfants, et sa belle famille. Il habitait avec sa femme à Montmartre, je n'aimais pas ce quartier de Paris. Je trouve que cette église blanche du sacré cœur blanc trônant sur cette bosse ressemble à un décor de boule à neige pour touriste.

On convoqua nos souvenirs pendant quelques heures. On parla de l’armurerie de mon père, et des chasses dominicales. Mon père me réveillait tôt ces dimanches, mais j’étais heureuse qu’il m’emmène avec lui. Etre seule avec lui, loin de ma mère, pendant une matinée. J'avalais un café au lait, deux tartines, et lui et moi montions dans la Juva 4 qui quittait la ville endormie. Sur la banquette arrière, j’étais allongée sous une couverture pour finir ma nuit. Thaisse était à mes pieds : une femelle cocker adorable avec une robe couleur noire jais. Les odeurs de carburant et de cuir ciré remplissaient l’habitacle et ne faisaient pas bon ménage avec le café au lait. Cela me levait le cœur, mais je n’aurais donné ma place pour rien au monde, j’échappais à la messe ! On garait la voiture en bordure de forêt.  Je descendais à moitié endormie, accueillie par les aboiements des chiens, le froid me piquait le visage. On retrouvait les autres chasseurs, dont le père de Michel, qui nous attendaient le fusil cassé au creux du bras, en fumant leur cigarette. On partait en marchant dans les sentiers. 

Michel extirpa de son portefeuille une photo de ses 3 fils et de sa femme, une grande perche mince avec des cheveux filasse teints en roux qui flottaient dans des vêtements hippie. Un style approximatif qui était une surprise pour moi : j’avais imaginé autre chose pour les cheveux blancs ondulant et les chemises à carreaux vichy BCBG de Michel. 

J’étais mal à l’aise. Je pensais à mon André. Je pensais aux regards des autres, et à ce qu’ils penseraient. Cela me paraissait incongru de ressasser mes souvenirs avec cette homme.

Je lui ai raconté l’histoire après le décès de mon père, le moment où l’on s’était perdus de vue. D’abord la gentille expulsion que j’avais vécue de chez ses parents ou j’avais été placée au décès de mon père. Les parents de Michel avaient été désignés par mes parents pour être mes tuteurs jusqu’à ma majorité. Mais 6 mois après ma majorité j’avais du plier bagage afin de ne pas perturber les révisions de Michel qui se préparait à passer son baccalauréat.  J’avais été ensuite recueillie par ma marraine qui habitait dans le 15eme à Paris. Elle vivait une liaison avec une autre femme, un secret lourd à porter dans la France à la fin des années 50, et je m’aperçus vite que j’étais de trop. J’eus alors la chance de trouver une place dans un foyer de jeunes filles qui me permette de finir mes études de sténo dactylo. J’étais soulagée de ne plus dépendre des uns ou des autres.

J’avais rencontré André un peu avant le décès de mon père. L’amour de ma vie. A la fin de mes études, il était au service militaire dans la marine. On a décidé de se marier,

Je lui ai raconté le pavillon qui se construisait dans un lotissement à la fin des années 60. La réussite d’une famille moyenne française. L’éducation compliquée de l’ainé finalement parti vivre en Angleterre, et celle plus tranquille du cadet qui vivait maintenant sur la Seine Maritime. 

Je me sentais tout à coup oppressée, je me suis interrompue. J’ai levé les yeux sur les quelques tables occupées en ce soir d’un jour de semaine. D’abord une table autour de laquelle s’était assise deux mères de famille, et leurs enfants. On ne savait pas qui piaillait le plus. Puis au fond du café une table à l’écart avec un couple qui se tenait la main et qui ne semblait ne plus pouvoir se quitter des lèvres, ventousés l’un à l’autre.

La soirée s’avançait, il était temps de rentrer pour lui comme pour moi. Je l’ai conduit à la gare. On s’est fait la bise en se promettant de se revoir. Il est sorti de la voiture, et j’ai regardé sa silhouette trappue entrer dans la gare.

J’ai pris la route qui s’enfonçait dans la forêt pour le chemin du retour. 

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