lundi 17 septembre 2018

Le bocal



Allongé sur le dos les yeux ouverts je passe des nuits à écouter le silence obscur.

Je n'arrive pas à être béatement heureux en attendant le vendredi soir, les vacances, ou la retraite. Assis sur le bord du grand plongeoir, je regarde un peu aigri les gens patauger dans le grand bain. Je rumine. 

Pourtant, avec la cinquantaine en vue, je coule les jours tranquilles d'un contribuable remboursant a taux fixe son bonheur pavillonnaire. La douce mélodie d'un train-train quotidien rythme ma vie avec pour décor un job d'ingénieur dans la filiale d'un groupe américain, et une femme  qui veille sur moi et sur nos deux filles avec tendresse et attention. J’habite chez une famille française moyenne. Nous faisons partie des couples qui "s'en sortent"...

Comment être mécontent de son sort ? Ce spleen du quinquagénaire pourrait ressembler à un trépignement d'enfant gâté, mais vu de l'intérieur c'est de l'amertume et cela me ronge sans y pouvoir grand chose. Je fais avec.

J’en suis là au printemps 2015. J’organise un déplacement aux USA avec l’équipe Française en charge du développement de la nouvelle version d'une turbine industrielle. On doit discuter avec l'équipe américaine des options techniques retenues et de celles qui sont écartées : pas assez fiables et ou trop chères. Notre groupe descend de l'avion, C'est la fin d'après midi. On est tous un peu fripés du voyage en classe économie, et vaguement nauséeux du menu poulet ou pâtes dont la compagnie aérienne nous a généreusement gratifié. Notre hôtel, planté en périphérie d'une zone commerciale, sent bon la morale mormone javellisée. On y avale notre  traditionnel steak bière au restaurant ou flotte une odeur de graillon prégnante. On est tous cassés, le départ de la maison était très matinal, cela fait donc 20 heures que l'on est debout. J’éteins la clim de la chambre qui fait un bruit d’avion, je m’affale sur le lit, et je m'éteins pour une nuit sans rêves.

Le sommeil stoppe net à 4 heures avec le décalage horaire...Je tourne dans le lit, et puis finalement je tue le temps me séparant du petit déjeuner en envoyant quelques sms à la maison. On rejoint nos collègues américains en salle de réunion, pour s'échiner pendant toute la matinée sur une règle de partage des coûts de développement d'une option coûteuse et à la fiabilité incertaine. La discussion était tendue chacun campait sur ses positions. 

Tu es entrée dans la salle de réunion au milieu de cette guerre de tranchees. Une heure auparavant un  directeur américain t'avait présentée à notre petit groupe : Claire Tardieu avait été nouvellement embauchée pour se charger de la noble mission de trouver des terrains d’entente entre les deux parties. C'était un vrai défi au vu les enjeux.

Tu t’es assise à côté de moi en bout de table, une femme blonde aux yeux verts sombres et aux cheveux en pagaille. Tu etais habillée d’une robe blanche simple. J'avais l’impression de t’avoir déjà rêvée.

Dès la première rencontre, j’ai ressenti l'énergie qui émanait de toi, Claire. 

Je ne voulais pas renoncer à arracher un compromis, Je me suis levé et je suis passé au tableau avec l’envie de convaincre. J'en faisais trop, je parlais fort, j’utilisais des phrases toutes faites déjà entendues un million de fois. Les chiffres et les fausses évidences volaient, et je bouillais devant la mauvaise foi de mes collègues américains qui tentaient de noyer le poisson. Il devenait évident que l’on n’arriverait pas à se mettre d’accord. Je me suis assis à nouveau pour griffonner un vague compte rendu de la réunion, j’étais en colère contre moi de ne pas avoir réussi.

Je te regardais du coin de l’oeil, tu te taisais, tu laissais parler. Peut-être que tu t’en foutais, ou que tu ne comprenais rien de ce qui se discutait. 

Dans un vague brouhaha entre français et américains, tu as posé une question en Français qui n’avait rien à voir avec le débat, une grenade lançée a la volée au dessus du sourire farceur que tu arborais. Un silence s'est figé, les Français cherchaient a comprendre, les americains etaient perdus. Dans cette atmosphère électrique tu a pris tout le monde de court moi y compris.


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