J’ai retrouvé
Michel dans le jardin du château ce mercredi après-midi. C’était curieux ce
choix : le jour des enfants et des mamans. On s’était donné rendez-vous à
la statue de Diane chasseresse, du côté du jardin à la Française, là où l’on
s’était rencontrés pour la première
fois. J’avais 7 ans et lui 8. Quelque
mois auparavant, ma mère était venue me chercher dans le village de l'Allier ou habitaient mes
grands-parents. Elle m’y avait quasiment oubliée, pendant 6 longues années, pour que je profite de la
prodigalité de nos campagnes dans la France de l’après-guerre sujette aux
privations, mais surtout pour ne pas être un fardeau pour ma mère.
Le printemps
allait bientôt revêtir de vert tendre les nouveaux rameaux des buis. Sous le
soleil permissif de Mai, les arbustes échevelés pousseraient alors en dehors du
parallélépipède strict des haies, jusqu’à ce que les taille-haies des
jardiniers viennent faire entrer tout dans l’ordre.
Le bruit des
gravillons sous nos chaussures nous rappelait les courses des parties de
cache-cache.
Michel parlait
beaucoup, et finalement je lui en étais reconnaissante, cela m’était impossible
de meubler autant de silences. J’écoutais un mot sur deux, mais cela me sauvait de l'inconfort et de la gêne de me trouver seule avec un homme. Cela faisait des années que cela ne m'était pas arrivée.
La fin
d’après-midi s’annonçait, les lycéens et les étudiants
arrivaient maintenant en paires dans le jardin et s’asseyaient sur les bancs
pour se bécoter. J’étais fatiguée et j’avais envie que l’on se pose quelque
part. On est donc sortis du parc pour aller pousser la porte du café des Cadrans. Devant nos
tasses de chocolat chaud on s’est racontés. Il m’a décrit ses études, sa carrière brillante de Neurologue, ses quatre enfants, et sa
belle famille. Il habitait
avec sa femme à Montmartre, je n'aimais pas ce quartier de Paris. Je trouve que cette église blanche du sacré cœur blanc trônant sur cette bosse ressemble
à un décor de boule à neige pour touriste.
On convoqua
nos souvenirs pendant quelques heures. On parla de l’armurerie de mon père, et
des chasses dominicales. Mon père me réveillait tôt ces dimanches, mais j’étais heureuse
qu’il m’emmène avec lui. Etre seule avec lui, loin de ma mère, pendant une matinée. J'avalais un café
au lait, deux tartines, et lui
et moi montions dans la Juva 4 qui quittait la ville endormie. Sur la
banquette arrière, j’étais allongée sous une couverture pour finir ma nuit.
Thaisse était à mes pieds : une femelle cocker adorable avec une robe
couleur noire jais. Les odeurs de carburant et de cuir ciré remplissaient
l’habitacle et ne faisaient pas bon ménage avec le café au lait. Cela me levait le cœur, mais je n’aurais donné ma place pour rien
au monde, j’échappais à la messe ! On garait la voiture en bordure de forêt. Je descendais à moitié endormie, accueillie par les aboiements des chiens, le froid me piquait le visage. On retrouvait les autres chasseurs, dont le père de Michel, qui nous attendaient le fusil cassé au creux du bras, en fumant leur cigarette. On partait en marchant dans les sentiers.
Michel extirpa de son portefeuille une photo de ses 3 fils et
de sa femme, une grande perche mince avec des cheveux filasse teints en roux qui
flottaient dans des vêtements hippie. Un style approximatif qui était une
surprise pour moi : j’avais imaginé autre chose pour les cheveux blancs
ondulant et les chemises à carreaux vichy BCBG de Michel.
J’étais mal à
l’aise. Je pensais à mon André. Je pensais aux regards des autres, et à ce
qu’ils penseraient. Cela me paraissait incongru de ressasser mes souvenirs avec cette homme.
Je lui ai
raconté l’histoire après le décès de mon père, le moment où l’on s’était perdus de vue. D’abord la gentille expulsion
que j’avais vécue de chez ses parents ou j’avais été placée au décès de mon
père. Les parents de Michel avaient été désignés par mes parents pour être mes
tuteurs jusqu’à ma majorité. Mais 6 mois après ma majorité j’avais du plier
bagage afin de ne pas perturber les révisions de Michel qui se préparait à
passer son baccalauréat. J’avais été
ensuite recueillie par ma marraine qui habitait dans le 15eme à Paris. Elle
vivait une liaison avec une autre femme, un secret lourd à porter dans la France
à la fin des années 50, et je m’aperçus vite que j’étais de trop. J’eus alors
la chance de trouver une place dans un foyer de jeunes filles qui me permette
de finir mes études de sténo dactylo. J’étais soulagée de ne plus dépendre des
uns ou des autres.
J’avais
rencontré André un peu avant le décès de mon père. L’amour de ma vie. A la fin
de mes études, il était au service militaire dans la marine. On a décidé de se
marier,
Je lui ai
raconté le pavillon qui se construisait dans un lotissement à la fin des années
60. La réussite d’une famille moyenne française. L’éducation compliquée de
l’ainé finalement parti vivre en Angleterre, et celle plus tranquille du cadet
qui vivait maintenant sur la Seine Maritime.
Je me sentais tout
à coup oppressée, je me suis interrompue. J’ai levé les yeux sur les
quelques tables occupées en ce soir d’un jour de semaine. D’abord une table
autour de laquelle s’était assise deux mères de famille, et leurs enfants. On
ne savait pas qui piaillait le plus. Puis au fond du café une table à l’écart
avec un couple qui se tenait la main et qui ne semblait ne plus pouvoir se
quitter des lèvres, ventousés l’un à l’autre.
La soirée
s’avançait, il était temps de rentrer pour lui comme pour moi. Je l’ai conduit
à la gare. On s’est fait la bise en se promettant de se revoir. Il est sorti de
la voiture, et j’ai regardé sa silhouette trappue entrer dans la gare.
J’ai pris la
route qui s’enfonçait dans la forêt pour le chemin du retour.